On s’accorde à le dire, si les années covid ont mis le rôle de la Direction RH sur le devant de la scène, la pression autour du métier est également très forte. Complexité du recrutement, transformations écologique et digital, New Ways of Working… L’inflation galopante vient s’ajouter à un dialogue social déjà complexe. Quel effet a l’inflation sur les RH ? Les parties prenantes ? Comment naviguer à travers une période complexe ? Nous avons posé nos questions à Benoît Serre, DRH de l’Oréal France et Vice-président délégué de l’ANDRH.
Quels types d’impacts a l’inflation sur les entreprises ? Quel est le contexte aujourd’hui pour les organisations ?
Nous sommes dans un contexte inflationniste que nous n’avons pas connu depuis 30 ans. C’est un modèle qui est surtout poussé par les prix de l’énergie. Aujourd’hui on entre dans une phase inflationniste pour l’alimentaire. Cette hausse pourrait créer des tensions supplémentaires car c’est une inflation du quotidien, une inflation perçue comme plus importante par les consommateurs.
Sans compter que nous avons deux sortes d’inflation : l’inflation de consommation, dont on parle le plus, et l’inflation de production. Aujourd’hui les entreprises ont répercuté leurs prix sur les ventes, ce qui se retrouve dans les paniers des consommateurs. La question est de savoir si cela va durer, les économistes n’ont pas l’air de penser que cela va se calmer. Pour l’instant, la sensation d’inflation est atténuée par le fait que le gouvernement français a mis en place des boucliers tarifaires. La France a des taux d’inflation inférieurs à ceux de ses voisins. C’est un adoucissement un peu artificiel, qui perd en plus de son impact, puisque le Gouvernement semble petit à petit réduire ses actions.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’inflation s’ajoute à un certain nombre d’imprévus. Or, les entreprises détestent l’incertitude. Nous entrons dans une période de prudence. Les entreprises prennent en considération cette période de ralentissement.
Le dialogue social est-il devenu plus difficile ? Les parties prenantes ont-elles des demandes spécifiques qui ont évolué ?
Comme première partie prenante, les syndicats jouent leur rôle. Ils estiment que l’augmentation générale des salaires doit compenser la hausse de l’inflation. Du côté des entreprises, la situation peut être plus nuancée. Certaines ont des niveaux de participation élevés. C’est un débat qui a souvent lieu. On considère que les entreprises sont parvenues à bien négocier ce virage complexe.
L’autre point : certaines entreprises ne sont pas sorties en bon état de la crise Covid. Les PME, notamment, n’ont pas forcément la trésorerie nécessaire afin d’augmenter les salariés de manière substantielle. Si nous parlons beaucoup des grandes entreprises, les petites et moyennes structures restent les principaux employeurs en France. Le débat est lié au fait que l’on n’avait pas l’habitude de gérer ce type de crise.
L’inflation a-t-elle un effet sur l’engagement des collaborateurs ? Les questions de recrutement et ou de rétention ?
On a beaucoup glosé sur le fait qu’on aurait un phénomène de grande démission comme aux Etats-Unis. Je n’y ai jamais cru car la structure du marché du travail aux Etats-Unis est très différente de celle en France. Le CDI apporte beaucoup de choses en France : protection sociale, sécurité de l’emploi… Cependant, les raisons qui poussent les salariés américains à quitter leur emploi existent également en France, mais pas de la même manière. A la différence des Etats-Unis, les travailleurs sont revenus sur le marché du travail.
Il y a également un autre phénomène qui est celui de la démographie, qui fait que le marché du travail est tendu. Il y a une hausse du besoin de main d’œuvre mais moins de disponibilités sur le marché existant. Nous sommes passés d’un marché de l’employeur à celui d’employé. En conséquence, les travailleurs ayant un métier rare ont une plus grande facilité à bouger. C’est une donnée qui est amenée à durer. Ce n’est pas un sujet qui est lié à la crise inflationniste. Nous sommes sortis de la logique du chômage de masse. C’est un phénomène de plus que l’on n’a pas connu depuis 40 ans.
Il faut donc s’adapter. L’enjeu est certes autour du recrutement, mais est surtout celui de la fidélisation. Il faut surveiller le taux de turnover : lorsqu’il y a du turn over élevé, cela peut vouloir dire que vous formez pour des concurrents. Il y aussi une instabilité au niveau de vos équipes. Il y a peut-être plus de possibilités de mobilité pour les cadres. On a beaucoup pensé qu’ils allaient partir vivre en Province mais ce n’est pas vraiment le cas.
Plutôt que d’une grande démission on peut parler d’une grande mobilité. Les travailleurs ont commencé à beaucoup bouger. On observe par ailleurs une plus grande mobilité des cadres. Aujourd’hui il y a plein d’opportunités nouvelles qui n’existaient pas les années précédentes et qui s’ouvrent. Le marché devient beaucoup plus actif alors qu’il était plus morose ces dernières années.
En tant que vice-président délégué de l’ANDRH, avez-vous constaté une hausse du partage de la valeur dans les entreprises ?
Le gouvernement a en effet mis en place la Prime Macron. Beaucoup d’entreprises qui n’avaient pas les moyens de ce type de dispositif ou pour augmenter l’ont mis en place pour compenser l’inflation sans s’embarquer à long terme. La moyenne de cette prime, lorsque vous avez un accord d’intéressement ou de participation jusqu’à 6000 euros, s’établit à 700 euros. Les entreprises l’ont utilisé mais pas considérablement.
On va voir maintenant quel impact va l’accord national interprofessionnel qui a été passé. Le Gouvernement le reprend in extenso dans la loi. On va sûrement voir le dispositif se généraliser. Aujourd’hui, en moyenne 50% des salariés bénéficient d’un dispositif d’intéressement ou de participation. J’y suis favorable. D’autant plus que les débats sur le pouvoir d’achat et les NAO se sont déplacés vers les superprofits. La question au cœur était de savoir comment mieux associer les salariés à la réussite de l’entreprise. Certaines entreprises le faisaient déjà depuis longtemps, certaines via de l’actionnariat salarié. Je pense que c’est une tendance pérenne qui peut être à l’origine d’une nouvelle forme d’engagement.
Quels conseils pour les RH en cette période d’incertitude ?
Je note trois postures principales à développer :
- Poser différentes hypothèses pour anticiper ;
- Rester très agile : être prudent et se mettre dans un modèle qui permette de réagir vite. Dans les phases d’inconnue comme en ce moment, c’est la vitesse de réaction qui compte plus que la réaction elle-même à court-terme ;
- Enfin, il ne faut pas négliger les questions de long terme comme l’évolution des métiers. Même si vos ressources diminuent, les questions de formation et d’adaptation à la transformation numérique demeurent indispensables.