Le monde politique est dans l’impasse ? La société civile ne faiblit pas !

Le monde politique est dans impasse - Jean-Pierre Raffarin

Le mardi 7 octobre 2025

Invité

Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre de la Ve République

Quelques mots sur l'événement

Ce mardi 7 octobre, le Cercle Humania a reçu Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre et auteur de « Ne sortons pas de l’Histoire » (2003), un plaidoyer européen. Au cœur d’une semaine très spéciale, marquée par un flou politique inédit, il s’est exprimé en faveur d’un véritable leadership français et européen. Il a aussi rendu hommage à la société civile, à son énergie, soulignant que « la politique dévore tout, or la politique ce n’est pas la vie. Combien de décisions sont prises par les entreprises, les collectivités locales, le paritarisme ? On n’entend pas assez la voix des entreprises. »

Retour sur son intervention, en six points-clefs.

Le leadership, une force motrice

« Le leadership n’est pas une valeur en soi », a d’abord affirmé Jean-Pierre Raffarin devant 140 DRH du Cercle Humania. « Car le dictateur aussi est un leader ! » Pour lui, un bon leadership doit être partagé – et même « harmonieux »/

Il repose sur une dynamique : « Un leader est une force motrice qui rend compatibles une destination, un chemin et un groupe. » Car sans horizon, il n’y a pas de leader. 

« Si vous proposez un chemin sans destination, vous n’êtes pas un véritable leader. »
Le leadership humaniste repose aussi sur l’envie : Jean-Pierre Raffarin a cité Saint-Exupéry : « On n’a pas le droit d’être responsable et désespéré. »

Sensibilité et écoute

L’ancien Premier ministre insiste sur la nécessité, pour tout dirigeant, de conjuguer sensibilité et écoute : « Les bons ministres ne sont pas les experts, mais ceux qui savent écouter, qui ont une clarté de vue, une capacité à décider et à assumer. Ce sont aussi ceux qui n’ont pas peur de travailler avec des personnes plus compétentes qu’eux. »

Pour Jean-Pierre Raffarin, le leadership ne peut exister sans responsabilité. Il s’inquiète d’une société française où « celui qui paie n’est pas celui qui décide » et où « l’irresponsabilité se développe partout ». La décentralisation, dont il fut l’un des artisans, reste pour lui une clé de la responsabilisation démocratique.

Un point de vue qu’il est intéressant de rapprocher de la subsidiarité, en management.

Un leadership en crise dans les démocraties

Comparant les modèles internationaux, Jean-Pierre Raffarin rappelle que le leadership, ça s’apprend : « Aux États-Unis, on considère que c’est un acquis. En Europe, nous sommes plus nuancés. Le fil de l’épée du général de Gaulle reste la meilleure lecture pour comprendre l’équilibre entre l’inné et l’acquis. »

Nos démocraties, selon lui, ont du mal à faire émerger des leaders durables. « Aujourd’hui, la force l’emporte sur le droit, la force est devenue la règle de la gouvernance mondiale. »
L’Europe a cru que sa force serait son marché. Mais elle n’a pas mené l’exercice à son terme. « Nous avons fait des lois de concurrence qui ont empêché nos champions d’exister. » Pour lui seule la relation franco-allemande peut encore jouer un rôle moteur : « C’est notre unique chance de peser politiquement, militairement et économiquement. »

Le piège de l’exercice solitaire du pouvoir

Autre mise en garde : la personnalisation excessive du pouvoir. « L’exercice solitaire du pouvoir est une pathologie grave. On peut gagner sans parti, mais on ne pourra pas gouverner longtemps. Pour gouverner, il faut une organisation, de la ressource humaine, une capacité d’action. »
Cette réflexion fait écho là encore aux défis du management contemporain : le collectif comme source de légitimité et d’efficacité, au-delà de la seule incarnation individuelle.

Société civile : une source d'énergie inépuisable

Jean-Pierre Raffarin a rendu un hommage appuyé à la société civile et à l’énergie humaine qui la traverse : « Il n’y a que dans les personnes qu’il y a de la richesse. »

Il a raconté une anecdote fondatrice : à Rochefort, jeune élu, il se félicite avec ses collègues en politique d’avoir su attirer un investisseur américain créant 400 emplois dans la zone industrielle. Mais le dirigeant venu des États-Unis prend le micro à la fin de la cérémonie et évoque, lui, sa joie d’avoir misé sur… « sa ville natale ». Une information-clef, qui manquait au tableau. « Ce jour-là, j’ai compris ce qu’était la société civile ! »

Et de conclure : « Une bonne démocratie est celle qui s’ouvre à la société civile. Même quand la politique a des problèmes, il ne faut pas désespérer : il y a de l’énergie ailleurs. »

Ne pas se fermer au monde

Connaisseur de la Chine, Raffarin appelle à ne pas tomber dans le rejet idéologique : « Avant de juger, il faut aller voir ce qu’ils font, comment ils opèrent. » Il regrette que peu de jeunes Français se forment à cette culture pourtant essentielle : « Ma génération s’est préparée à vivre avec les États-Unis ; aujourd’hui, personne ne va en Chine, or si vous n’y allez pas, vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est. »

Pour lui, l’ouverture raisonnée est une nécessité : « La ligne rouge est celle de la résistance lorsque nous sommes attaqués, comme en Ukraine. Ailleurs, il faut rester ouverts. Nous ne savons pas qui seront nos alliés dans quinze ans. »

Photos

Florence Boulenger
Gestionnaire de contenu

Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.