Certes les boules de cristal n’existent pas, mais si l’on veut s’en approcher, c’est sans doute chez les assureurs qu’on a les meilleures chances d’entrevoir l’avenir – et plus précisément chez les actuaires. Faustin Moinet exerce ce métier chez April Entreprise. Il nous ouvre les coulisses de son job, entre mathématiques et prospective. Dans un contexte de transformation rapide du travail, d’incertitudes sociales et réglementaires, les actuaires, en tant que professionnels des risques, deviennent des alliés de poids pour les DRH.
Votre métier n’est pas toujours bien connu. Pouvez-vous nous l’expliquer en quelques mots ?
C’est vrai, l’actuariat est encore perçu comme un métier de niche. Nous ne sommes pas très nombreux, nous exerçons souvent dans l’assurance et la finance, nous aimons les maths – surtout les statistiques, les probabilités et la modélisation – mais nous ne faisons pas de la théorie pure ! Nous mettons nos compétences au service d’enjeux très concrets. Être actuaire, c’est modéliser les risques futurs à partir de données passées et présentes, pour éclairer la prise de décision. Chez un courtier comme April, le métier prend une dimension très opérationnelle, voire business.
Quels types de données traitez-vous au quotidien ?
Nous travaillons avec des données historiques, que nous mêlons aux tendances actuelles, et nous intégrons des hypothèses liées à l’économie, la finance, le climat ou la démographie. L’idée, ce n’est pas de prédire l’avenir, mais de projeter des scénarios futurs plausibles et de pondérer leur probabilité. C’est une démarche rigoureuse, qui doit aussi rester intelligible pour nos interlocuteurs. Il faut que nous puissions expliquer tout ce que nous avançons.
C’est pour cela qu’à court terme, l’IA nous fait peut-être gagner du temps en automatisant certaines tâches, mais nous devons rester capables d’expliquer les résultats, de comprendre pourquoi tel modèle donne tel scénario. L’effet « boîte noire », avec des données entrantes et un résultat qui sort sans explication, serait un vrai danger. Notre force, c’est de rester transparents et pédagogues.
À qui votre expertise est-elle utile dans l’entreprise ?
Arrêtons-nous sur la retraite : le sujet fait à nouveau l'actualité. Quel rôle joue l’actuaire ?
Vous apportez aussi un appui opérationnel ?
Sur quels autres sujets peut-on vous solliciter ?
Les indemnités de fin de carrière (IFC), par exemple, sont une charge à anticiper : on projette la masse salariale à 30 ou 40 ans, avec les départs, l’inflation, le turn-over… Idem pour les médailles du travail : ce sont des engagements parfois oubliés mais qui, s’ils ne sont pas provisionnés, peuvent peser lourd. L’actuaire aide à évaluer tout cela et à sécuriser les comptes.
Quant à l’absentéisme, c’est un vrai sujet. On observe une forte hausse des arrêts longs, notamment pour troubles psychologiques. Aujourd’hui, un arrêt sur deux de longue durée est lié à un motif psychique. Cela coûte cher à l’entreprise, et fragilise aussi la Sécurité sociale, que l’on sait déficitaire. En tant qu’actuaires, nous proposons des leviers d’action : une organisation différente du travail, un meilleur cadre pour le télétravail, des actions de prévention renforcées sur la santé mentale… Nos interlocuteurs DRH ou DAF sont parfois débordés. Nous arrivons avec des analyses quantitatives qui permettent de poser des chiffres sur les enjeux, de prendre du recul et d’anticiper les grandes tendances. C’est une aide à la décision stratégique.
Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.