Recrutement des cadres : l’envers du décor

Abd El Khadr Hamza -APEC - 
Recrutement des cadres : l’envers du décor

Dans cette article :



Comment les recruteurs vivent-ils les recrutements ? La question est importante et l’Apec a décidé d’y consacrer une étude. Cette fois-ci, ce ne sont pas aux candidats (cadres) que l’on a demandé un ressenti, mais aux RH et aux managers qui organisent les entretiens. Abd El Khadr Hamza, auteur de l’étude, nous emmène de l’autre côté du miroir.


Le titre de votre étude dépeint des processus de recrutement « contraints par des tensions et des complexités internes ». À quoi ressemblent ces points de crispation ?

Je voudrais souligner d’abord que les entreprises interrogées sont très conscientes de l’importance d’offrir à leurs candidats une expérience de recrutement plus efficaces et plus agréable : avec des parcours resserrés dans le temps, un déroulé plus lisible, des informations plus pertinentes sur les postes à pourvoir, l’environnement de travail et globalement une posture de recruteur qui serait plus proche d’un échange constructif, que de tests de personnalité « à l’ancienne ».


Mais dans les faits, ils rencontrent des obstacles importants. Le premier niveau de difficulté survient très en amont, au moment de trouver des candidats et de les trier, tout simplement. Malgré la multiplication des outils (jobboards, IA, cooptation, cabinet de recrutement…), le volume de bons candidats reste faible. L’IA générative ne leur facilite pas les choses : ils peinent à détecter les candidats intéressants entre deux CV gonflés à l’IA et deux lettres de motivation quasi similaires.


Le deuxième niveau de difficulté relève de l’organisation interne, avec un partage des rôles entre RH et managers qui reste perfectible. Dans de nombreux cas de figure, les décisions sont prises de façon collégiale entre managers et RH ou dirigeants (23 % à 40 % des cas). Recruter un cadre constitue donc un cheminement collaboratif …durant lequel des tensions peuvent surgir !

Quels reproches mutuels se font les RH et les managers ?

Une partie des managers reprochent aux RH un sourcing insuffisant des candidats, ainsi qu’un manque de savoir-métier qui les empêche de cerner pleinement les enjeux d’un recrutement au sein de leur équipe.


De leur côté, les RH pointent du doigt les exigences parfois irréalistes des managers concernant les profils recherchés (qualifiés de « moutons à cinq pattes »). Ils regrettent également leur disponibilité limitée, qui ralentit et complique l’ensemble du processus, ainsi que leur manque de formation aux fondamentaux du recrutement.


On a donc, en résumé, des managers qui s’interrogent sur le nombre de candidatures trouvées et traitées par les RH, et des RH qui se demandent comment les managers évaluent leurs besoins et les compétences des candidats.



Ont-il formulé des propositions pour améliorer la situation ?


Ils ont tous compris que les difficultés se trouvent très en amont, pour bien identifier le besoin et les compétences attendues – et donc ils sont conscients qu’ils peuvent fluidifier les processus en rédigeant la meilleure fiche de poste possible.


De manière générale, il existe un véritable enjeu de communication entre ces deux populations RH et managers. Dès lors qu’on comprend les difficultés de l’autre, on se crispe moins. 
Du côté des bonnes nouvelles, l’opérationnel fait un peu plus confiance aux RH pour juger des soft skills d’un candidat. Et vice-versa, les RH font confiance aux managers sur les aspects techniques.
Ils ont tous compris que les difficultés se trouvent très en amont, pour bien identifier le besoin et les compétences attendues – et donc ils sont conscients qu’ils peuvent fluidifier les processus en rédigeant la meilleure fiche de poste possible.


De manière générale, il existe un véritable enjeu de communication entre ces deux populations RH et managers. Dès lors qu’on comprend les difficultés de l’autre, on se crispe moins. 
Du côté des bonnes nouvelles, l’opérationnel fait un peu plus confiance aux RH pour juger des soft skills d’un candidat. Et vice-versa, les RH font confiance aux managers sur les aspects techniques.

Avez-vous été surpris par ce que vous ont dit vos interlocuteurs ?

J’ai été particulièrement intéressé par un questionnement émergent, qui porte sur les limites de la transparence. Si les recruteurs interrogés s’accordent sur le fait qu’il est important de rendre leurs processus de recrutement plus transparents pour les candidats, dans les faits, de nombreuses problématiques organisationnelles compliquent largement la donne : il s’agit des contraintes de planning et des délais internes de prise de décision, mais aussi de possibles évolutions du recrutement en cours de processus : redéfinition des profils recherchés, découverte ou recommandation tardive de nouveaux candidats, voire ajournement du besoin.



Au-delà de ça, les recruteurs, notamment dans les PME, expriment parfois des réserves envers une plus grande transparence. Ils évoquent spontanément des contextes d’entreprise parfois incertains : changements organisationnels en cours, plans sociaux, rachats, conditions de travail complexes, ambiances de travail dégradées ou équipes en reconstruction… Certains choisissent volontairement de ne pas être totalement transparents à propos de la rémunération, de certains éléments du poste ou de l’organisation du travail, surtout en début de processus. Soit parce qu’ils considèrent que dévoiler ces éléments pourrait leur faire perdre un candidat, soit pour garder des éléments à mobiliser dans l’optique de la négociation salariale ou du recrutement définitif du candidat.

Florence Boulenger
Gestionnaire de contenu

Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.