L’IA fera-t-elle disparaître votre emploi ? Pas du tout, selon PwC, qui a choisi de titrer « The Fearless Future » son nouveau baromètre consacré à l’impact de l’IAG sur (tous) les métiers du monde. Nos questions à Olivier Dupont, associé Workforce chez PwC France et Maghreb.
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Pour mesurer l’impact de l’IAG sur l’emploi, l’étude « AI Jobs Barometer » de PwC passe au crible près d’un milliard d’offres d’emploi. Des offres parues sur six continents et analysées sur le « temps long », puisqu’elles ont été publiées entre 2018 et 2024.
Qu’appelez-vous une « offre d’emploi liée à l’IA », le point d’entrée de votre analyse ?
Nous nous sommes appuyés sur les travaux de Felten, Raj et Seamans en 2021, qui ont défini « l’indice d’exposition professionnelle à l’IA ». Nous n’avons pas cherché des offres très marquées, de type « ingénieur IA », mais nous avons créé au contraire une taxonomie des compétences qui ont un lien avec l’IA et nous avons analysé les occurrences de ces compétences dans les offres d’emploi. Nous avons ainsi identifié presque 400 compétences directement liées à la maîtrise de l’iA. Cela nous a permis de faire émerger des emplois que nous avons qualifiés « d’automatisables » et des emplois dits « augmentés ».
Attention, les emplois automatisables ne disparaissent pas forcément, mais évoluent vers des tâches plus complexes ou plus créatives. C’est le cas d’un développeur de logiciel, qui va se concentrer sur l’architecture globale du code et sur la résolution des problèmes. Ou d’un agent au service client, dont le métier va se resserrer sur les cas les plus délicats.
Du côté des emplois augmentés, l’IA vient améliorer la capacité de jugement, d’analyse ou de créativité de l’humain. Deux exemples là encore : celui du chirurgien qui utilise l’iA pour scanner des images médicales, mais conserve la décision finale. Et celui du juriste, qui s’appuie sur une analyse de la jurisprudence infiniment plus rapide, tout en conservant la main sur la combinaison d’options la plus efficace pour son client.
Vous semblez dire que ces emplois, qu’ils soient automatisables ou augmentés, ne sont pas réellement menacés ?
En effet, l’étude est plutôt rassurante sur ce point. Je voudrais d’abord souligner – et c’est important – que l’impact de l’IAG est massif : aucun secteur d’activité ni aucun emploi n’y échappe. Y compris dans l’agriculture ou le BTP, qu’on pourrait imaginer moins exposés. L’IAG a un impact majeur partout. Les trois secteurs que l’on retrouve en première ligne sont les métiers de l’information et de la communication, les activités scientifiques et techniques, ainsi que le médico-social. Mais ils sont loin d’être les seuls concernés.
Venons-en à la menace des destructions d’emploi. Nos statistiques disent le contraire. L’IA crée des emplois dans tous les secteurs, et plus l’emploi est exposé à l’IA, plus c’est net. Ce résultat peut sembler contre-intuitif. Tout comme cette croyance selon laquelle la France serait en retard par rapport aux pays anglo-saxons. En réalité, avec plus de 166 000 offres d’emploi liées à l’IA publiées en 2024, la France se positionne en tête des pays européens, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni.
En France, les métiers « augmentés » par l’IA ont progressé de 252 % entre 2019 et 2024, et de 223 % pour les métiers « automatisés ». Cette tendance est plus marquée qu’au Royaume-Uni (39 % et 32 %) ou aux États-Unis (9 % et -3 %).
Une observation pessimiste de ces chiffres pourrait être la suivante : on crée des emplois le temps de s’approprier les outils d’IAG, avant de les supprimer. La dynamique qui s’enclenche, entre créations et destructions, relèvera avant tout de la décision des employeurs, de la vision des dirigeants ?
Bien sûr, tous les chemins restent ouverts et nous constatons de manière empirique lors de nos interventions de conseil au quotidien, que les dirigeants sont face à des choix structurants. L’IAG leur demande une réflexion globale à la fois sur la stratégie de développement et sur le volet organisationnel. Comment analyser les compétences disponibles dans mon entreprise, comment les faire évoluer dans une logique de formation continue, comment recruter… ? Et il ne faut pas oublier la dimension managériale, car l’IA vient rebattre les cartes en matière de performance : elle invite les managers à repenser profondément leurs indicateurs
Vous évoquez la performance et c’est un point essentiel car la performance est souvent associée à la productivité.
La productivité a été multiplié par trois entre 2018 et 2024 dans les secteurs les plus exposés à l’IA. Dans les services financiers ou l’édition de logiciels, elle a même presque quadruplé, passant de 7 % à 27 %. Les rémunérations semblent suivre cette capacité nouvelle de chaque employé à générer plus de chiffre d’affaires : les collaborateurs disposant de compétences en IA perçoivent en moyenne un salaire supérieur de 56 % aux autres.
Votre étude établit aussi un lien entre les compétences en IA et le niveau de diplôme ?
C’est un fait notable pour la France : alors que la plupart des pays voient baisser les exigences en matière de diplômes pour les emplois liés à l’IA, notre pays fait exception. Les postes augmentés par l’IA exigent désormais un diplôme dans 62 % des cas, contre 58 % en 2019. Pour les postes automatisés, on est passé de 49 % à 52 %. À l’inverse, en Allemagne, les taux ont chuté de 54 % à 45 % pour les emplois augmentés, et de 41 % à 36 % pour les automatisés. Cette spécificité française interroge : alors que l’IA pourrait être un levier d’inclusion pour les jeunes et les moins qualifiés, l’accès à ces emplois reste conditionné chez nous à un haut niveau de diplôme.
La France a également tendance à penser que les cols blancs sont plus impactés par l’IAG et à prioriser ces emplois-là en termes de formation, alors que dans le reste du monde anglo-saxon, on considère que les cols bleus sont concernés au même niveau que les cols blancs et on forme de façon plus égalitaire.
La tâche des DRH semble immense ?
En effet ! Et au regard de l’accélération des technologies, ce sujet est largement prioritaire. On voit que les compétences demandées sur les emplois exposés à l’IA évoluent 66% plus vite que qu’ailleurs. Les DRH sont responsables du développement des compétences et vont devoir intégrer l’IAG à tous les niveaux hiérarchiques et tous les niveaux d’ancienneté. Il faut être vigilant aussi sur les inégalités de genre : l’étude montre que les gemmes occupent, plus que les hommes, des postes exposés à l’IA. Ce qui est à la fois une opportunité et une menace.
Chaque entreprise aura besoin d’un parcours de formation spécifique. C’est un vrai défi. On ne pourra pas tout maîtriser à 100%, mais l’heure est venue de bien choisir ses combats. Et n’oubliez pas, en tant que DRH, de vous former vous-même…
Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.