Les RH doivent gérer au quotidien de nombreuses situations de crise. La complexité des environnements de travail, en interne comme externe, et du dialogue social, ainsi que les transformations successives des activités, amènent à maîtriser des compétences de plus en plus variées, nombreuses et stratégiques en matière de gestion de crise et d’accompagnement au changement. D’où le développement croissant du métier de DRH de transition, fonction qui officie sur des missions spécifiques pour des entreprises en période de profonde transformation. Hervé Wattecamps, DRH de transition, a répondu à nos questions sur les spécificités de sa fonction.
Pourriez-vous partager quelques mots sur votre parcours ?
A brûle-pourpoint, pour caractériser mon parcours professionnel de bientôt 43 années, trois mots résonnent souvent en moi : passion, variété et management.
La passion d’abord pour le métier militaire au sein d’unités prestigieuses que sont les Chasseurs Alpins, en opérations ou en France, dans les Alpes, où l’on se forge très naturellement à la prise de décision et au devoir d’humilité dans l’action, face à un environnement naturel qui peut se révéler être notre meilleur allié ou notre pire ennemi.
La variété ensuite des métiers exercés, grâce à un parcours singulier, avec toujours une appétence forte, qui ne sait d’ailleurs jamais émoussée au fil du temps, pour aller à la découverte d’horizons nouveaux. Cela s’est traduit à chaque fois par de belles rencontres humaines avec souvent de grands professionnels qu’ils s’agissent de l’armée française, du secteur aéroportuaire ou encore dernièrement du domaine médico-social et sanitaire. Et finalement, n’est pas cela la richesse et l’exigence du métier de manager de transition.
Et enfin, le management, que l’on dénomme commandement dans les armées. C’est le goût pour la prise de responsabilité assumée d’équipes, de structures, de directions. C’est savoir donner aux moments opportuns une vision claire de l’horizon plus ou moins lointain dans lequel s’inscrit l’entreprise. C’est aussi savoir bâtir des perspectives à chacun de ses collaborateurs. Tout cela procure beaucoup de satisfactions personnelles et professionnelles et dans certaines occasions un peu d’adrénaline !
Comment définiriez-vous les compétences et les spécificités d'un DRH de transition ?
Cela peut paraître évident, mais il est tout d’abord incontournable qu’un DRH de transition ait occupé préalablement la fonction de DRH, si possible dans plusieurs secteurs d’activités et surtout dans des situations d’entreprise variées et complexes.
En effet, la première attente d’un dirigeant qui fait appel à un DRH de transition est bien une réponse sur-mesure, immédiatement opérationnelle, pour répondre dans l’urgence aux enjeux de l’entreprise. Ces enjeux peuvent être des enjeux de croissance, de transformation, de gestion de crise, de retournement, de succession, pour les plus courants.
La prise en main opérationnelle et dans l’urgence d’une situation de transformation nécessite quelques qualités et compétences. Je citerai très naturellement : savoir écouter d’abord pour une analyse rapide de la situation, puis fédérer et embarquer les équipes, souvent déroutées par la situation complexe qu’elles vivent au quotidien.
Tout cela nécessite à l’évidence une capacité d’adaptation forte : chaque entreprise a sa culture, ses problématiques et son mode de fonctionnement propre. J’ai souvent pu mesurer également l’importance d’un leadership fort pour fixer le cap à suivre, sans pour autant omettre l’humain comme valeur cardinale.
Enfin, il me semble primordial d’avoir des qualités d’analyse et de synthèse développées, une capacité d’adaptation prononcée pour faire valider dans des délais souvent très contraints auprès du dirigeant et en lien avec le directeur de mission du cabinet de management de transition les premiers axes de transformation et la feuille de route associée.
Quelle méthodologie pour accompagner les entreprises ? Comment abordez-vous chaque mission ?
Le premier réflexe à avoir est de bien analyser la situation. Le brief de mission se révèle souvent très synthétique et incomplet. Il permet rarement une compréhension d’emblée et approfondie de l’environnement de la mission. Ce point est essentiel pour ne pas faire fausse route. Le plus contre-productif serait de vouloir appliquer d’emblée des schémas classiques.
Enfin, il importe de vérifier et prendre en compte l’environnement externe et interne, les différentes parties prenantes, en particulier les organisations syndicales et ses instances représentatives du personnel, mais aussi les accords de branche spécifiques qui influent nécessairement sur le dialogue social et les accords d’entreprise.
Que conseillez-vous aux professionnels des RH pour gérer des situations de crise ?
Comme j’ai commencé à l’évoquer précédemment, il faut agir avec méthode pour une bonne analyse de la situation et trouver le bon axe d’action selon la stratégie définie par l’entreprise.
Je conseillerais également de ne négliger aucune des parties prenantes de l’entreprise, chacun a son importance pour la réussite d’une transformation : cadres dirigeants, managers, salariés, syndicats, environnement extérieur, concurrence, …
Lors d’expériences précédentes, j’ai pu mesurer les conséquences occasionnées par le fait de ne pas avoir pu suffisamment prendre le temps d’écouter et d’expliquer un changement structurel ou opérationnel touchant telles ou telles catégories de personnel de l’entreprise, faisant courir le risque d’une mauvaise adhésion aux projets pourtant nécessaires à la pérennité de cette même entreprise.
Il convient ainsi de déployer une attention toute particulière à l’égard des managers de proximité. Ce sont eux qui vont initier et mettre en œuvre les orientations choisies auprès de leurs collaborateurs. Ce sont eux qui sont en première ligne et souvent placés en porte-à-faux face aux différentes parties prenantes : collaborateurs, direction, syndicats.
Enfin, il arrive de ne pas avoir toutes les cartes en main au démarrage de la mission. Une bonne communication et coordination avec la Direction Générale sont essentielles. Il est central de s’accorder sur les objectifs, les délais et les limites de l’action pour être certain d’avoir les bonnes priorités avant d’agir. Cet alignement va permettre enfin de pouvoir garder dans la durée le cap fixé avec la détermination voulue et l’humanité requise.
Y a-t-il un projet RH dans votre carrière qui vous a particulièrement marqué ?
Je voudrais en retenir deux, dans deux périodes très différentes de mon parcours professionnel.
Le premier se situe pendant mon parcours au sein de l’armée de Terre. Suite aux attentats de 2015, il a été demandé à l’armée de Terre d’augmenter ses effectifs de manière rapide pour participer à la protection du territoire national. En tant que DRH, il nous a fallu repenser en urgence le recrutement pour être en capacité d’accueillir dans nos rangs 15 000 jeunes par an. Cela s’est traduit par une refonte en profondeur de l’organisation de tous les process recrutement et de la direction du recrutement. Cela nous a permis également de pouvoir expérimenter de nouvelles méthodes de sourcing pour mieux toucher la jeunesse actuelle. Je me souviens en particulier avoir fait appel à un youtubeur, très connu aujourd’hui des réseaux sociaux, qui a contribué à sa manière au succès de la campagne de recrutement 2016. Cette période très enthousiasmante sur le plan RH a permis de développer et de valider de nouvelles méthodes de recrutement et d’onboarding. Un beau succès collectif puisque les objectifs fixés ont pu être atteints sur plusieurs années.
L’autre projet RH, très récent celui-là, a consisté à la remobilisation d’une fonction RH totalement désorientée et exsangue suite au départ précipité du DRH et à des accusations très graves sur le fonctionnement même de l’entreprise. Il m’a fallu dès mon arrivée redonner confiance à chaque collaborateur et construire un nouveau projet RH avec ces mêmes collaborateurs extrêmement déboussolés. Une belle expérience humaine qui a confirmé le rôle prédominant de la fonction RH et des managers de proximité pour réembarquer les collaborateurs, leur redonner confiance dans l’avenir de leur entreprise et dans leur potentiel et compétences. Un défi humain qui ne peut être qu’une œuvre collective et qui nécessite de l’expérience, une autorité naturelle et une bonne dose d’empathie !