Le mardi 4 octobre 2022
Invité
Étienne Klein, Directeur de recherche au CEA, physicien et philosophe des sciences
Quelques mots sur l'événement
Le dîner-débat du 4 octobre 2022 était animé par Etienne Klein. Physicien et philosophe des sciences, il s’exprimait sur le thème “Face à l’incertitude”.
Étienne Klein s’est tout d’abord attaché à décrire le lien entre physique et philosophie. Ce lien tient par le fait que les physiciens produisent des travaux qu’Etienne nomme “découvertes philosophiques négatives”. Ces découvertes viennent réduire les réponses apportées par les philosophes.
Nous pouvons rattacher cela au thème de ce dîner car l’incertitude est elle aussi jugée comme un élément négatif. Pourtant, Kant écrivait : “L’intelligence d’une personne se mesure à la quantité d’incertitudes qu’elle est capable de supporter”. De plus, si les individus connaissaient leur futur très exactement, ce serait particulièrement invivable et retirerait tout libre-arbitre. Dès lors, l’incertitude peut être une vertu.
L’incertitude a toujours été étroitement liée à l’avenir. Aujourd’hui, il est toutefois de plus en plus en plus difficile d’avoir une vision limpide de ce qui nous attend. Par le passé, nous avions tendance à idéaliser le futur. L’année 2000 était vue comme particulièrement désirable. Depuis que nous l’avons dépassée, nous sommes dans une phase descendante. Plus personne ne rêve du futur. Même les scientifiques, notamment spécialisés en climatologie ou en biodiversité, partagent une vision pessimiste de l’avenir.
Ce pessimisme se traduit par un changement de terminologie à première vue anodin : la disparition du mot progrès des discours publics au profit du mot innovation. L’innovation ressemble à un synonyme de ce dernier, avec une touche de modernité en plus. Or, notre façon d’en parler va à l’encontre de la notion même de progrès et révèle une forme d’angoisse. En effet, le progrès s’appuie sur l’idée que le temps qui passe est constructeur. Le futur sera meilleur qu’aujourd’hui. Cette croyance est consolante, car elle permet de supporter le présent et de donner du sens à nos sacrifices. Croire au progrès, c’est accepter de sacrifier du présent personnel pour un futur collectif. Ce futur collectif est cependant aujourd’hui opaque. L’innovation n’est quant à elle jamais évoquée au nom de l’avenir. Le temps est corrupteur par essence. Dans beaucoup de discours économiques, l’absence d’innovation implique l’inertie, donc la mort face à la concurrence ou aux changements du marché. Il faut donc innover pour maintenir le monde dans son état.
Nous comprenons maintenant que l’avenir du changement climatique dépend en partie de ce que nous allons faire. Pour le réchauffement climatique, les actions du passé ont déterminé ce qui va se passer jusqu’en 2050. Nos actions actuelles n’auront d’effets que pour la période postérieure. Politiquement, il sera difficile de convaincre les individus d’agir : les effets produits ne seront perceptibles qu’à long ou très long terme, avec beaucoup d’incertitudes.
L’incertitude est ainsi au cœur de la physique quantique. Cette année, le prix Nobel de physique a été décerné à Alain Aspect. Ce dernier a mis fin au débat opposant Einstein et Bohr sur la nature complète ou incomplète de la physique quantique grâce à son expérience sur les lasers. Les mécaniques de la physique quantique reposent sur du hasard pur, une forme d’incertitude absolue. Dès lors, doit-on pour autant rester dans l’inaction ? Au contraire, Etienne Klein pense que les entreprises et les DRH sont indispensables pour favoriser la prise d’initiative pour reprendre le pouvoir afin de définir des trajectoires individuelles avec du sens.