Si de nombreux secteurs sont en pénurie de main d’œuvre, c’est particulièrement le cas de celui de la santé et du soin à la personne. Rémi Boyer est Directeur des Ressources Humaines du Groupe Korian, une société spécialisée dans les établissements dédiés aux soins aux personnes âgées, mais qui couvre également l’ensemble du spectre de la fragilité humaine, un secteur qui souffre d’importantes pénuries de main-d’œuvre. Quelles sont les causes des problématiques ? Comment travailler l’attractivité du Groupe pour des métiers sous tension ? Quelles leçons tirer ?
Comment le recrutement de votre secteur est-il impacté par le manque de main-d'œuvre ?
Pour remettre dans le contexte, nous sommes un Groupe qui recrute beaucoup : 10 000 personnes en 2022, avec un turnover élevé de l’ordre de 20%. C’est notamment dans les métiers d’expertise (médecins, infirmiers, directeurs d’établissement, chefs de cuisine…). Notre socle de collaborateurs le plus stable est la population des aides-soignants, l’ancienneté moyenne du Groupe étant de sept ans et demi.
Les difficultés de recrutement se sont amplifiées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas tant à cause de la parution du livre Les Fossoyeurs. La publication a surtout eu un impact au niveau de la réputation des entreprises de notre secteur auprès de l’opinion publique. Les problèmes de recrutement ont des origines différentes et plus structurelles.
Les difficultés aujourd’hui sont plutôt issues d’un manque d’anticipation de la part des pouvoirs publics. Pourtant, le déséquilibre entre la courbe démographique du grand âge et le nombre de soignants formés et disponibles était visible depuis longtemps. Or, les besoins en soins pour les personnes âgées connaissent une hausse. Nous ne parvenons pas à y répondre car beaucoup de nos recrutements dépendent encore des quotas fixés dans des concours publics, qui ont heureusement disparu depuis mais ont été ajustés trop tardivement.
Par conséquent, nous sommes aujourd’hui dans un marché déséquilibré entre l’offre et la demande. Cette période de pénurie va encore durer au moins cinq ans le temps pour le système de s’ajuster. D’autant plus que malgré la disparition des quotas, un autre facteur est venu aggraver la situation avec un nombre d’abandons au cours de la formation ou de démissions au bout de quelques mois en hausse.
Nous sommes donc sur des problématiques qui nécessitent de se retrousser les manches pour trouver des solutions innovantes à savoir où et comment trouver les collaborateurs qui nous manquent ; et lorsque nous trouvons les bonnes personnes, comment s’assurer qu’elles restent chez nous…
Quel travail avez-vous effectué au niveau du recrutement ?
Beaucoup des nouveaux entrants sur le marché du travail sont plus exigeants qu’avant. Ils sont plus regardants sur les horaires et les conditions de travail. Ils sont également plus souvent en recherche de contrats flexibles comme des CDD ou des missions d’intérim. Or, nous cherchons à recruter en grande majorité en CDI. Comme dit précédemment, ils ont tendance à quitter leur emploi très facilement, ce qui implique de revoir certaines stratégies de rétention, car le marché pour eux est extrêmement fluide du fait de la pénurie de soignants partout. Pour autant, ce sont aussi des populations très attirées par nos métiers de sens, notamment du côté des jeunes générations.
Comment le groupe Korian travaille-t-il son attractivité auprès des collaborateurs ?
Tout d’abord, nous travaillons à la mise en place d’une expérience, d’un parcours candidat, que nous voulons irréprochable. C’est particulièrement pertinent lorsque la réputation de l’entreprise est mise en cause. Dans ce cadre, la marque employeur joue un rôle clé. On met en avant le sens du métier, qui est la raison principale pour laquelle les jeunes sont attirés par les professions du soin : des métiers avec du sens, de la relation, des métiers de l’intimité, de l’empathie, de la proximité psychologique sur toutes les dimensions de la fragilité humaine.
Ce sont des éléments que nous mettons en avant dans le cadre d’une nouvelle image de marque employeur que nous développons autour de trois piliers :
- La qualité de l’accueil et de l’engagement salariés doit être à la hauteur de l’accueil que nous portons aux résidents, L’expérience collaborateur doit refléter ces aspects du métier. Nous recherchons autant que faire se peut la symétrie des attentions.
- Mettre au cœur de la promesse de l’entreprise la diversité des parcours, ce qui passe par des trajectoires internes diversifiées et la promotion par la formation professionnelle continue.
- Déployer une culture de la santé et de la prévention, visible notamment via le projet de la Fondation d’entreprise Aimer Soigner. L’un des grands points de ce projet est d’être attentif à la santé des soignants, de susciter des vocations et de redonner confiance dans nos métiers en particulier dans le cadre du passage de notre entreprise au statut de société à mission.
Pour illustrer la démarche, le travail d’onboarding est essentiel : 15% des effectifs nous quittent dans les six ou douze premiers mois ! Nous avons constaté que les jeunes recrues pouvaient manquer d’accompagnement les mois qui suivent leur arrivée, ce qui expliquerait des départs anticipés. Les métiers du soin sont exigeants et il y a un écart entre la réalité du métier et les formations initiales. Une autre tendance qui s’accroît : des personnes âgées qui nous sont confiées développent de plus en plus de pluri-pathologies qui nécessitent un soin renforcé. Ces cas peuvent être déroutants pour des nouvelles recrues qui n’y sont pas forcément préparées.
Nous travaillons aussi le système de mentorat dans le contexte de pénurie. Des collaborateurs avec plus d’ancienneté guident les nouveaux arrivés. Grâce au système de parrainage et en donnant rapidement des perspectives d’évolution à tous, nous espérons améliorer la rétention.
Quel travail avez-vous effectué au niveau du recrutement ?
La tension du marché nous pousse forcément à être créatif. Dans un premier temps, nous avons modernisé notre système de recrutement en nous dotant d’ATS à la page et en renouvelant nos processus de recrutement. Avec 10 000 recrutements par an en Europe, nous sommes une « machine à recruter » ! Notre objectif est de suivre avec précision les parcours des candidats, en cohérence avec notre volonté d’offrir une expérience de recrutement sans couture.
Pour accélérer cette modernisation, nous explorons de nouveaux canaux de communication encore peu exploités par le secteur : Tiktok, format vidéo… Avec un branding adapté aux jeunes générations. C’est un moyen pour nous de toucher de nouvelles populations et de faire connaître nos métiers.
Toujours pour diversifier nos viviers de candidats, nous développons l’apprentissage, ce qui n’était pas possible il y a quelques années, avant la loi Pénicaud. Aujourd’hui nous avons plus de 12% des effectifs de Korian Allemagne qui sont des apprentis, et près de 5% en France ! La loi de 2018 en France a vraiment changé la façon dont les étudiants abordent le métier, les candidats peuvent avoir une idée plus précise du quotidien, des exigences et des missions. L’expérimentation professionnelle permet de changer la vision autour de nos professions et de valider un projet dans des métiers (soin, cuisine, et même direction) qui se prêtent particulièrement à l’apprentissage avec le mentorat de salariés plus expérimentés.
Pour faciliter l’entrée dans le métier, nous avons créé notre propre CFA, le CFA du soin. Nous avons aussi créé il y a maintenant plus de 15 ans la Korian Academy, notre organisme de formation interne dédié à toutes nos professions, afin d’être capables de former directement sur des métiers en tension. Notre filière a la spécificité d’être encadrée par des diplômes d’État, ce qui jusqu’ici pouvait limiter notre capacité à recruter. Aujourd’hui, nous sommes capables de former et de délivrer ces diplômes approuvés par l’État par exemple avec un projet comme le projet « passerelles » qui permet de reconvertir des agents de service en aides-soignantes qui passent le diplôme d’Etat via notre CFA avec de plus la capacité d’assurer un emploi directement à la sortie.
Ainsi, nous avons développé des partenariats avec des entreprises comme Monoprix ou Derichebourg pour former des personnes qui faisaient un autre métier, hôtes de caisse par exemple, mais qui avaient montré dans leur entreprise d’origine une appétence pour les métiers du soin. Nous expérimentons ainsi ces projets passerelles pour développer des compétences chez d’autres personnes issues d’autres filières, et nous déployons aussi de nombreuses solutions de VAE (validation des acquis de l’expérience), plus d’un millier en France, mais aussi dans les autres pays du Groupe, comme par exemple en Belgique ou en Italie, ou de reprise d’étude pour accélérer les processus de diplomation en se fondant sur l’aspect transférable des compétences.