Le mardi 11 mars 2025
Invité
Jean-Dominique Senard, Président du conseil d’administration du Groupe Renault.
Quelques mots sur l'événement
Lors de notre dernier dîner-débat, le Mardi 11 mars, Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault, a livré une analyse percutante sur le sens du travail et la transformation des entreprises. Face à une centaine de décideurs RH réunis dans les salons de l’Hôtel des Arts et Métiers, il a dressé un constat lucide de l’état du monde professionnel et proposé des pistes concrètes pour relever les défis à venir.
« Nous sommes face à un paradoxe saisissant », lance Jean-Dominique Senard en ouverture. Alors que la défiance envers les institutions ne cesse de croître, l’entreprise, elle, continue d’inspirer la confiance. Associée à l’innovation et à des actions concrètes (nourrir, soigner…), elle conserve une image largement positive. Mais en parallèle, un phénomène interpelle : le rapport au travail évolue. Beaucoup ne le considèrent plus comme une source d’épanouissement, mais comme une contrainte. Et ce constat ne se limite pas aux plus jeunes générations.
Le secteur public, "au bord de la déprime"
Cette désaffection s’appuie sur des chiffres frappants. Aujourd’hui, seuls 25 % des Français considèrent que le travail occupe une place importante dans leur vie — ils étaient 60 % il y a 30 ans. Le salaire est désormais cité comme la priorité par plus de la moitié des répondants, bien plus qu’auparavant.
Un glissement s’opère donc : l’entreprise reste plébiscitée, mais le travail en tant que tel pose question. Pour Jean-Dominique Senard, cette évolution ne concerne pas uniquement le secteur privé. Le malaise est également profond dans le service public, où les témoignages recueillis dans le cadre du rapport des Assises du travail commandé par l’ancien ministre du Travail Olivier Dussopt, font état d’une démotivation généralisée.
« Nous avons, aujourd’hui en France, une fonction publique très souvent démotivée, parce qu’elle a été déresponsabilisée », déplore-t-il
Il établit ainsi un lien direct entre le désengagement vis-à-vis du travail et la défiance envers les institutions, nourrie par un manque de respect, d’écoute et de reconnaissance. La crise des retraites en a été l’un des reflets : derrière la réforme, beaucoup manifestaient avant tout pour exprimer un sentiment de déclassement.
Responsabilisation, raison d'être et reconnaissance
Face à ce désenchantement, Jean-Dominique Senard propose une piste concrète : remettre la responsabilisation au cœur du fonctionnement des organisations. Une démarche exigeante, mais essentielle pour redonner du sens au travail. Selon lui, cela implique une transformation profonde du rôle du manager, qui devient un véritable développeur de talents.
« La solution, la voie, c’est la responsabilisation – et c’est très difficile à mettre en œuvre » reconnaît-il
Il rappelle les effets bénéfiques de cette approche, expérimentée notamment chez Michelin : plus d’engagement, plus d’innovation, une dynamique collective renouvelée. À cette responsabilisation s’ajoutent deux leviers clés : la raison d’être – qui fédère autour d’un cap commun – et la reconnaissance, indispensable pour nourrir le sens individuel au travail.
Les startups appelées à une remise en question
Enfin, Jean-Dominique Senard alerte sur un angle mort souvent ignoré : celui des startups. Derrière l’image de modernité et de liberté, certaines pratiques managériales posent question. Il évoque une vague de témoignages préoccupants sur les conditions de travail dans certaines jeunes entreprises françaises.
« Le traitement des employés y est parfois pire que dans les versions les plus dures du capitalisme anglo-saxon », affirme-t-il.
Il en appelle aux professionnels des ressources humaines pour porter ces sujets avec détermination. Car, au-delà des entreprises, c’est la société tout entière qui est concernée : redonner du sens au travail, c’est contribuer à apaiser un pays en mal de reconnaissance.
"Vous avez un rôle fondamental à jouer. Vous pouvez porter cet enjeu et sauver ce que nous pouvons sauver dans notre société française qui, aujourd’hui, est malheureuse, notamment pour les raisons que je viens d’évoquer face à vous. Nous avons un peu de chemin, un peu de travail, mais l’espoir est bien là."