Le mardi 28 janvier 2025
Invité
Laurent Alexandre, entrepreneur visionnaire, chirurgien urologue et essayiste reconnu pour ses réflexions sur l’avenir de l’humanité à l’ère des technologies disruptives
Quelques mots sur l'événement
Le 28 janvier 2025, Laurent Alexandre, chirurgien urologue, essayiste et entrepreneur, était l’invité d’honneur du premier dîner-débat de la série annuelle organisée par le think tank Cercle Humania. Il a partagé sa vision de l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur l’entreprise et la production. Retour sur les principaux enseignements de cette intervention et ses effets sur les startups et les VCs.
Seul 1 Français sur 16 000 serait, à ce jour, plus intelligent que la dernière version de ChatGPT, et la technologie gagnerait en moyenne 1 point de Q.I. tous les 4,5 jours. C’est du moins ce qu’affirmait Laurent Alexandre, futurologue et fondateur de Doctissimo, sur le réseau social X la semaine précédant le dîner-débat organisé par Cercle Humania. Face à une salle de réception des Salons Hoche comble de directeurs des ressources humaines de nombreuses grandes organisations françaises, l’homme aux multiples casquettes a d’emblée posé le cadre : l’IA n’est pas une simple évolution technologique, mais une véritable révolution cognitive.
« L’intelligence artificielle, ce n’est pas de l’informatique. L’intelligence artificielle, c’est de la stratégie. L’intelligence artificielle, c’est d’abord un problème de RH, a-t-il affirmé avant de poursuivre, L’adage selon lequel l’homme doit être mis au cœur de l’entreprise est un passeport pour la faillite. Une entreprise qui ne met pas l’IA au cœur va mourir ».
Cette révolution se caractérise selon lui avant tout par une croissance exponentielle des capacités de l’IA, dépassant rapidement l’intelligence humaine dans de nombreux domaines. L’orateur a souligné à plusieurs reprises la vitesse vertigineuse de cette évolution : « La valeur de l’IA ChatGPT-4 a été divisée par 10 en l’espace de 18 mois. Celle de l’avant-avant-dernier modèle d’OpenAI, ChatGPT o1, a vu sa valeur divisée par 27 en 90 jours. L’intelligence artificielle voit son coût s’effondrer, elle devient gratuite. Jusqu’où le processus ira, personne ne le sait », a rappelé celui qui est pourtant considéré comme un fin connaisseur de l‘IA en France. « Je suis immergé dedans et j’ai moi-même sous-estimé les conséquences de sa démocratisation. La révolution sera-t-elle schumpétérienne, comparable à celle de l’arrivée de la vapeur ou de l’électricité, ou bien civilisationnelle, voire anthropologique ? Personne ne le sait », s’est-il interrogé, rappelant les ambitions eugénistes d’Elon Musk avec ses puces électroniques implantables, mais aussi celles des cliniques embryonnaires américaines.
Cette progression fulgurante n’est pas sans poser des défis majeurs pour l’écosystème des startups et des VCs, qui doivent constamment s’adapter à un paysage technologique en mutation rapide. Pour les entrepreneurs, cela signifie qu’il faut être capable de pivoter rapidement et d’intégrer les dernières avancées de l’IA dans leurs produits et services. Les VCs, quant à eux, doivent réévaluer leurs critères d’investissement et être prêts à soutenir des projets qui pourraient devenir obsolètes en quelques mois.
La transformation radicale du monde du travail
Personne n’est à cette heure habitué à gérer un flux d’intelligence aussi important, et cette mission devrait incomber aux RH. « C’est vous qui allez très largement gérer ce flux, car son interfaçage avec le cerveau biologique est la question la plus importante. Il va falloir faire de la prospective, et ce n’est pas simple. Entre fin 2025 et 2027, l’IA dépassera l’humain dans toutes les dimensions cognitives, et la super IA – équivalente à la réunion de tous les cerveaux humains – sera bien effective en 2027. L’IA va changer radicalement les fonctions de production », a-t-il ajouté, prenant l’exemple de la récente annonce du fondateur de LinkedIn qui se lance dans le développement de médicaments par IA et des conséquences potentielles sur un acteur comme le français Sanofi.
« La structure organisationnelle des entreprises va inévitablement évoluer, réduisant le rôle des cadres intermédiaires au profit d’une importance accrue des dirigeants. Cette transformation est complexe à anticiper, puisque GPT-4 Pro était l’équivalent d’un Q.I. de 115, soit celui d’un titulaire de BTS, tandis que O1-mini, qui sortira dans quelques semaines, aura l’intelligence d’un polytechnicien. Ce n’est pas la même chose, lorsqu’on envisage la réorganisation, d’avoir l’équivalent d’un BTS ou d’un polytechnicien à portée de main », a-t-il illustré, rappelant par ailleurs que les plus grands changements organisationnels ne seraient d’ailleurs pas le fruit de l’IA, mais celui de la robotique. « La place du travail humain, dont vous êtes les médiateurs et les pivots, va changer sans arrêt. La politique des ressources humaines va changer chaque trimestre. Il va falloir une souplesse, une intelligence extraordinaire », a-t-il observé face à cette audience de DRH.
Face à cette révolution, les jeunes pousses doivent, elles aussi, repenser leur structure organisationnelle, privilégiant des équipes restreintes mais hautement qualifiées. Les cycles liés à l’innovation devraient très logiquement s’accélérer drastiquement eux aussi. Evidemment agiles par essence, il est possible que les startups s’adaptent plus facilement à ce rythme effréné.
L’éthique et la gouvernance vont par ailleurs devenir des enjeux majeurs, attirant l’attention des investisseurs soucieux de l’impact sociétal. Dans ce contexte, la valorisation des startups devrait tendre à se complexifier, poussant les VCs à innover dans leurs méthodes d’évaluation. Si on observe déjà une concentration des investissements vers les entreprises à la pointe de l’IA, le fossé devrait se creuser davantage dans les temps à venir.
Entrer dans l’ère de la cognitique pour créer de la valeur
« La complémentarité doit être une tâche essentielle à laquelle vous devez vous atteler dès maintenant. Séparer la gestion des cerveaux de silicium et des cerveaux biologiques est une ânerie. L’organisation de cette fusion est une urgence absolue. L’interfaçage de ces deux types d’intelligence va être la tâche stratégique la plus importante du 21ème sc.”, estime Laurent Alexandre.
Si cette vision se concrétise, l’écosystème des startups et du capital-risque se trouvera à l’aube d’une révolution sans précédent.
Ces propos sonnent d’ailleurs comme un appel à l’action pour les entrepreneurs et investisseurs. Fini le temps où la simple intégration de l’IA suffisait à séduire les VCs ; désormais, c’est la symbiose homme-machine qui fait vibrer les portefeuilles. Les startups les plus attractives seront celles qui orchestrent cette danse subtile entre cerveaux biologiques et silicium, faisant émerger des « chefs d’orchestre de l’IA » au sein de leurs équipes.
Cette nouvelle ère promet l’éclosion de secteurs inédits à la croisée de l’IA et des neurosciences, tandis que les cycles d’innovation s’accélèrent à un rythme vertigineux. Paradoxalement, dans ce ballet technologique, le capital humain pourrait bien retrouver ses lettres de noblesse, les VCs scrutant la capacité des équipes à danser en parfaite harmonie avec leurs partenaires artificiels. Une chose est sûre : dans cette course à l’innovation augmentée, seuls les plus agiles et les plus éthiques tireront leur épingle du jeu.