Transparence des salaires : trois conseils pour désamorcer la bombe

Parole d'expert - Loïc Touranchet - Transparence des salaires : trois conseils pour désamorcer la bombe
En juin 2026, toutes les entreprises françaises de plus de 100 salariés devront avoir transposé la directive européenne sur la transparence des salaires. La mesure qui aura le plus d’impact est sans doute la suivante : les rémunérations moyennes de chaque poste devront être rendues publiques à l’intérieur de l’entreprise. En cas de litige, la loi inverse la charge de la preuve : ce n’est plus le salarié A qui doit prouver qu’il est moins bien payé que le salarié B, mais bien l’employeur qui doit justifier cet écart de salaire. Une révolution encore silencieuse, aux conséquences potentiellement explosives. Pour s’y préparer, Loïc Touranchet, avocat associé au cabinet Actance, livre ses recommandations.

Une étude Indeed & PageGroup publiée le 8 avril dernier indique que presque 60 % des salariés craignent de découvrir l’année prochaine qu’ils sont moins bien payés que leurs collègues, à poste égal. La nouvelle réglementation sur la transparence des salaires a des allures de bombes à retardement : elle pourrait faire éclore un certain nombre de conflits.

En quoi la directive européenne marque-t-elle une évolution majeure en matière de droit du travail ?

C’est un sujet ancien, mais la directive 2023/070 vient considérablement renforcer le droit existant. En France, on avait déjà des principes de non-discrimination, comme des obligations de publication des dix plus hautes rémunérations de l’entreprise, ou encore des accords sur l’égalité professionnelle. Là, on passe à un autre niveau. À partir de juin 2026, les entreprises devront être capables d’afficher, dès le recrutement, la fourchette salariale d’un poste. Et ce, tout au long de la vie du contrat de travail. Chaque salarié pourra connaître la fourchette interne correspondant à son poste.

Quels sont les grands principes posés par ce texte ?

Il y en a quatre. D’abord, l’obligation de transparence dès le recrutement. Ensuite, le droit d’accès à l’information sur les critères de fixation des salaires et sur les rémunérations moyennes, ventilées par sexe. Troisièmement, et c’est peut-être le plus bouleversant, l’inversion de la charge de la preuve. Ce n’est plus au salarié de prouver qu’il est moins bien payé qu’un collègue : c’est à l’employeur de démontrer que l’écart est justifié. Enfin, le texte prévoit des sanctions accrues pour lutter contre les discriminations, notamment celles liées au genre.

Quels défis concrets cela pose-t-il aux entreprises ?

Il y a des effets de bord évidents. Lors d’un recrutement, par exemple, en France on ne tient pas seulement compte du poste, mais aussi du parcours, de l’expérience, de la rareté du profil… Pourtant, le texte ne prend pas en compte cette dimension. Le droit européen, lui, considère que vous avez besoin de quelqu’un pour faire le job, assumer une tâche quel que soit l’expérience du candidat. Le salaire est lié à l’emploi, non au profil du candidat. En France, on a une autre culture : deux ans d’expérience ou vingt ans, ce n’est pas la même chose. Les entreprises prennent en compte l’expérience dans la fixation du salaire. Ce décalage va créer des tensions.

Quelles sont les conséquences juridiques à anticiper ?

Le risque judiciaire est réel. L’inversion de la charge de la preuve change la donne : les entreprises vont devoir assumer et justifier leurs choix. Cela vaut aussi dans le cadre de fusions ou d’acquisitions. On peut hériter de pratiques passées qu’on ne maîtrise pas. Or, nous entrons dans une période de transmission massive d’entreprises : le sujet est critique. Enfin, j’observe une évolution à « l’anglo-saxonne », avec de plus en plus de contentieux liés à la discrimination ou au harcèlement.

Que recommandez-vous aux employeurs pour se préparer ?

Premièrement : anticiper. Il faut absolument remettre à plat les systèmes de fixation des salaires. Très vite, la réponse « Je n’ai pas les éléments / l’historique » ne suffira plus. Il faut faire un audit, analyser les écarts, mettre en place un plan d’action. Et ce travail doit être intégré dans une stratégie globale autour des salaires : négociations obligatoires sur les salaires, accords sur les classifications, accord de GEPP…

Ensuite, travaillez sur l’égalité professionnelle. Pourquoi dans certaines entreprises 70 % des cadres sont des femmes, mais seulement 5 ou 10 % au Comex ? Promouvoir l’égalité professionnelle, c’est aussi résoudre structurellement les écarts de salaires.

Enfin, conserver les preuves, archiver les critères de fixation des salaires, sur plusieurs années. C’est contraignant, mais indispensable. D’ici 2029 ou 2030, toute entreprise devra être en mesure de démontrer précisément comment elle a fixé ses salaires. Ne pas avoir de critères clairs ne sera plus toléré. L’objectif, à terme, c’est une grille de classification des postes, associée à une grille salariale, avec des fourchettes réalistes – et pas des écarts trop larges comme aujourd’hui.

A retenir

Prenez ce sujet au sérieux, et surtout, prenez-le maintenant. Ce sera beaucoup moins coûteux qu’un procès, d’autant que la tendance est déjà bien enclenchée. La directive entre en vigueur dans un an, mais il s’agit d’un sujet de fond, structurel, qui implique de repenser sa politique salariale dans la durée.

Florence Boulenger
Gestionnaire de contenu

Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.