Prévention santé : face au malaise des 18-25 ans, trois repères pour les DRH


Sophie Ferreira et Emilie Habert APRIL - Prévention santé : face au malaise des 18-25 ans, trois repères pour les DRH


Dans cette article :

La Fondation April est née en 2008, pour contribuer au débat public en matière de prévention santé. Quinze ans plus tard (2023), elle a choisi de valoriser une approche par les sciences comportementales : psychologie sociale, anthropologie, sociologie, neurosciences… Elle s’intéresse de près à la santé des jeunes et ses travaux peuvent aider les DRH à mieux accompagner leurs salariés juniors (18-25 ans). Nous avons rencontré Sophie Ferreira et Émilie Habert, respectivement Déléguée générale et Responsable de la Fondation April.





1. L’état des lieux : tous les voyants sont au rouge

Quel est le rapport des 18-25 ans à leur propre santé ? Quelle culture ont-ils du système de soin ? Pour répondre à ces questions, les équipes de la Fondation mêlent études quantitatives, qualitatives et un travail dit « d’ethnographie digitale » sur les réseaux sociaux. Les résultats sont plutôt alarmants : « Beaucoup de jeunes sont démunis », résument Sophie Ferreira et Émilie Habert. D’abord, leur santé mentale qui s’est largement dégradée lors du Covid, ne s’est pas rétablie depuis, contrairement à ce qu’on a pu entendre. « Bien au contraire, la situation empire. Nous avons des chiffres inquiétants sur les pensées suicidaires, le fait de se déclarer anxieux ou “en situation de difficulté” et sur le sentiment d’isolement social. » Autre phénomène inquiétant : le rajeunissement des cibles. Les jeunes vont globalement plus mal, mais aussi plus tôt.




Ce désarroi reste hélas un tabou, dans la sphère professionnelle et même dans le cercle familial et amical. « On parle de plus en plus de santé mentale publiquement ou sur les réseaux, mais à l’échelle individuelle, les jeunes rechignent à exposer leur vulnérabilité – ils craignent qu’elle soit stigmatisante. »


Côté physique, ce n’est guère mieux. « Un médecin que nous avons rencontré estime que les jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi aujourd’hui, connaîtront à 35 ans les pathologies qui survenaient jusqu’alors à 50 ans : troubles cardio-vasculaires et maladies chroniques notamment. »



2. Un silence qui en dit long : les jeunes parlent très peu de santé



Ils s’expriment volontiers sur leur apparence : sur la musculation, sur le « glow up » (une évolution positive de l’adolescence à l’âge adulte, sur le plan physique ou mental) ou encore sur leur alimentation. Mais sans avoir conscience de parler de santé – et même sans en prononcer le mot. « La santé est pour les jeunes surtout un levier : un moyen de servir d’autres objectifs. L’ethnographie digitale nous montre aussi que lorsqu’il évoquent des problèmes de santé, c’est plutôt sous l’angle de leur rapport à la maladie, à la façon d’un journal intime. »

Pour Sophie Ferreira et Émilie Habert, cette évolution change la donne : elle les invite à communiquer différemment en matière de prévention : « En forçant le trait, cela voudrait dire que quand on parle du cancer du poumon, il ne faut pas oublier d’ajouter que la cigarette, principal facteur de risque, enlaidit la peau et jaunit les dents. »

Le sujet de la santé en tant que telle semble survenir plus tard, au moment où ces jeunes adultes deviennent parents. En se penchant sur la santé de leur nouveau-né, ils s’intéressent enfin, en « boomerang », à leur propre condition physique et mentale.



3. Une piste d’action : faire de l’entreprise un nouveau « territoire de santé » ?

Les travaux de la Fondation April montrent que les 18-25 ans s’informent beaucoup sur les réseaux sociaux, auprès de leurs pairs, ou plus exactement auprès de celles et ceux qui ont connu le même problème de santé qu’eux. Ils sont bien conscients de la nécessité de vérifier ce type d’informations. Leur niveau de confiance envers les médecins reste élevé : en revanche les sites institutionnels et les campagnes de santé publiques sont jugés trop directifs, avec des injonctions qui suscitent une forme de « ras le bol ».



Quant à l’infirmière ou le médecin du travail, ils ne sont manifestement pas entrés dans leur radar. Or le lieu de travail pourrait devenir un « territoire de santé », suggère la Fondation April, à condition que cela soit fait avec le cadre adéquat. « Face à des jeunes actifs à risque, les DRH pourraient apporter une part conséquente de la réponse. Le bureau est l’un de nos espaces collectifs les plus solides, il donne accès à une population très étendue. C’est donc un territoire de prévention inégalé, d’autant qu’avec l’allongement de la durée du travail, on assiste à un effet ciseau entre les juniors (dont l’espérance de vie en bonne santé se réduit) et les seniors qui développent des pathologies de leur âge. »

Sophie Ferreira et Émilie Habert invitent donc les DRH à s’emparer du sujet, mais elles n’en nient pas la complexité. « Cela demande une réflexion poussée en amont. D’abord, rappelons que le rôle de l’employeur est avant tout de gérer le risque professionnel et la santé au travail : il ne faut pas lâcher ces aspects-là. Avec le développement du bien-être au travail, on a tendance à glisser vers la santé individuelle au travail – ce qui est très bien du point de vue de la prévention, mais risque aussi de faire porter de nouvelles responsabilités à l’entreprise. »



Un exemple concret : est-ce à l’employeur d’organiser des sessions de dépistage du diabète sur le lieu de travail ? Peut-on y lire une forme de paternalisme ? Une démarche intrusive ? Et comment garantir la confidentialité des données ? Les questions sont nombreuses et demandent d’être traitées avec précision et finesse.

Autre conseil de la part de nos interlocutrices : les DRH se trouvent à la bonne place pour s’emparer du sujet de la vulnérabilité évoqué plus haut : « Tant que les collaborateurs se censureront, pensant qu’ils ne peuvent pas parler de leur problème – le fait d’être aidant, par exemple – sans se sentir vulnérables, on n’avancera pas beaucoup. Il est essentiel de créer un environnement de travail qui permette une libération de la parole et offre la possibilité d’être entendu. »



Enfin, la santé mentale, qui a fait l’objet d’une grande cause nationale, est encore trop souvent (pour ne pas dire systématiquement) adressée sous l’angle individuel.
« Évacuer la question de la santé mentale du collectif (de l’entreprise) n’aide personne à progresser. Si les conditions de travail sont dégradées, ce n’est pas une séance de méditation proposée à l’heure du déjeuner qui réglera la situation. »



À découvrir



Le podcast mensuel « Agir pour prévenir »

Lancé le 25 septembre dernier, disponibles sur la chaîne YouTube de la Fondation APRIL, Spotify, Apple Podcast et Deezer.


  • Céline Falco, médecin généraliste et Présidente de la Fondation APRIL : « La prévention, c’est le seul moment où on peut vraiment sauver une vie »
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  • Cynthia Fleury, philosophe : « Derrière « MA » santé, il y a toujours un lien avec la santé communautaire »
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  • Le Professeur Olivier Phan, pédopsychiatre addictologue de la Fondation Santé des Etudiants de France ;

  • Enguerrand du Roscoät, de Santé publique France ;
  • Lucas Fugeard, Président de l’association Nightline.



L’expo « P.O.V : c’est ma santé »

Une exposition itinérante, interactive et gratuite dédiée à la santé des 18-25 ans, qu’ils soient étudiants, jeunes actifs, ni en emploi ni en formation.

Florence Boulenger
Gestionnaire de contenu

Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.