Le mardi 24 janvier 2023
Invité
Daniel Cohen, économiste
Quelques mots sur l'événement
Daniel Cohen, économiste, auteur et conférencier, est intervenu lors du dîner du 24 janvier 2023 sur le thème “2023, l’année de tous les dangers”.
Daniel Cohen lance son intervention en évoquant le contexte économique actuel. L’année 2023 se place dans la continuité de 2022 en catalysant toutes les incertitudes. L’économiste rappelle qu’il n’y a pas vraiment de précédent historique dans l’histoire récente. Nous sommes dans une situation de polycrise. Il est impossible d’attribuer la situation actuelle à une crise unique bien identifiée. Il est cependant possible de faire une comparaison avec le Moyen-Âge. Lors d’une crise majeure dans trois domaines (guerre, épidémie et faim), les institutions construites depuis l’empire romain se sont écroulées. C’est le début de l’âge moderne.
La question centrale dans ces cycles historiques est de savoir ce qui balaye un système et ce par quoi il va être remplacé.
Nous assistons à la fin du mondialisme libéral. Cette époque est née à la chute du mur de Berlin. L’économiste Francis Fukuyama l’appelle la Fin de l’Histoire. C’est cette idée qu’après une lutte idéologique entre des blocs séparés, le seul système survivant était le mondialisme libéral. Nous sommes donc entrés dans un système que les économistes appellent la désintégration verticale de la chaîne de valeur. Entre sous-traitance, externalisation et internationalisation, l’économie était tirée par le haut par les échanges internationaux reposant sur des chaînes de valeurs très complexes.
Nous vivons la Fin de la Fin de l’Histoire. C’est suite à plusieurs chocs : le Brexit, l’élection de Trump, la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Chacun de ses chocs a révélé à la fois une fatigue des classes populaires ainsi que la complexité excessive des chaînes de valeur mondiales. Face à la fragilité de ce système, le monde passe à une autre étape. De quelle nature ? Aujourd’hui, on assiste plutôt à la résurgence d’une nouvelle Guerre Froide entre plusieurs blocs, notamment entre la Chine et les Etats-Unis. C’est un nouvel espace économique qui se développe.
Le choc du Covid a également accéléré des tendances existantes en matière de numérique. Le travail à distance en est symptomatique. Le télétravail n’est pas tant innovant par les technologies utilisées que par la généralisation de sa pratique. Et pour Daniel Cohen, c’est le changement dans ces pratiques qui permet de gagner du temps, de la productivité, sur les interactions. Pour Jean Fourastié, c’était impossible. Dans son ouvrage Le grand espoir du XXe siècle, il mettait en avant que l’humanité était passée par trois phases : le travail de la terre, le travail de matière, et le travail de l’humain sur l’humain. Et le soin à l’autre étant considéré incompressible, la société post guerre mondiale rendrait impossible le moindre gain de productivité.
Aujourd’hui, le numérique apporte une réponse grâce aux algorithmes et à l’intelligence artificielle à cette impossibilité d’accroître la productivité. Une application comme Tinder permet de rationaliser les rencontres amoureuses en économisant du temps pour les relations. Le pendant négatif de la numérisation est une forme de distanciation déshumanisante, perceptible dans une baisse de la motivation globale et de l’engagement des travailleurs par exemple.
A cela s’ajoute l’accélération de la crise climatique. Cette dernière implique la création d’autres solutions et d’autres modèles énergétiques. Elle rappelle le premier choc pétrolier, qui avait eu lieu pendant les années 70. Elle avait mis fin aux Trente Glorieuses, une période de faste durant laquelle les travailleurs étaient motivés par des hausses substantielles de leur niveau de vie et la possibilité de grimper l’échelle sociale. Suite à cela, les collaborateurs étaient motivés par la peur de perdre leur emploi. La question, dans cette période pivot, est de savoir quels seront les futurs leviers de motivation des travailleurs ?