Est-ce que vous avez senti un changement de mission et de place dans la fonction RH ?
Je l’ai surtout connu en tant qu’employé avant de me lancer dans les Ressources Humaines. Lors de ma transition vers les RH, ça a été très vite le cœur de mes missions. Je ne suis pas un technicien de la fonction à proprement parlé. J’y suis entré plus tardivement et j’ai tout de suite eu une dimension business dans mon poste. Mais cela dépend aussi des entreprises et de la façon dont elle considère la Direction RH et le département. Est-ce que ce sont des spécialistes du droit social et une fonction administrative pure ou l’organisation considère-t-elle la RH comme un véritable business partner ?
Je ne pense pas que les entreprises qui restent dans la première vision, qui fait des Ressources Humaines un rôle de gestionnaire administratif, prennent la bonne voie.
Pourquoi ces entreprises font-elles fausse route ? Quelles évolutions accentuent le rôle plus business de la RH ?
Il y a une conjonction de facteurs qui rendent la gestion RH plus stratégique. Il y a un rapport avec la nouvelle génération qui est complètement différent. Lorsque j’ai débuté, j’avais, certes, un diplôme d’ingénieur et une formation, c’était des connaissances très théoriques. Aujourd’hui, les nouvelles générations ont des compétences numériques que les salariés avec plus d’ancienneté n’ont pas. Il reste des parties du job qu’ils doivent apprendre, d’autres qui leur viennent avec plus de facilité qu’à leurs managers.
On voit également beaucoup de questionnements sur la place du travail. Est-ce que ça a du sens de produire autant, ou plus, aujourd’hui ? Certains salariés se demandent s’ils vont rester, disons dans un système capitaliste de production, ou s’ils devraient s’orienter vers des activités non marchandes ou dans lesquelles la notion de profit à moins d’importance. La gestion RH a tendance à s’individualiser aussi dans nos sociétés occidentales.
Enfin, la question de la ressource humaine va devenir primordiale. Le taux de natalité en Occident et dans beaucoup d’autres pays, en particulier la Chine, est en baisse, il y a de moins en moins de jeunes sur le marché du travail. Et donc compter sur un pays comme la Chine comme réservoir « infini » de main d’œuvre ne semble plus être une solution, il faudra voir si l’Inde ou certains pays d’Afrique pourront jouer ce rôle un jour.
On se retrouve dans une configuration où l’on a toujours besoin du génie humain, mais où les nouvelles générations sont à la fois plus rares et moins malléables. La situation fait en sorte que la RH devient plus stratégique. Il y a simplement des entreprises qui l’ont compris plus tôt que d’autres.
Dans ce changement de paradigme, quels périmètres des Ressources Humaines sont les plus mobilisés dans cette optique de performance business ?
La clé est le design de l’organisation, à savoir comment mettre les bonnes personnes au bon poste et c’est une science complexe. La réponse varie d’un poste à l’autre, d’une entreprise à une autre. Il est par exemple facile de penser aux salariés comme un coût. Un salaire, ça se voit, ça se calcule. Mais comment calculer l’apport d’une personne, d’une équipe ? Quand a un très bon vendeur, qu’est-ce qui fait qu’il est très bon ? La valeur ajoutée d’une équipe, c’est difficilement quantifiable.
Ceci nous amène à l’importance du recrutement et de l’implication des Ressources Humaines dans ce processus clé. On parle beaucoup de l’Intelligence Artificielle dans le recrutement. C’est une avancée intéressante, mais il y a forcément des données qui échappent au calcul. Peut-être que les compétences d’une personne donnent l’impression d’un fit sur le papier, mais comment l’algorithme prend-il en compte l’équipe, le manager, la culture de l’entreprise autour ? Il me semble ambitieux d’imaginer pouvoir isoler un recrutement aux seules compétences, sans prendre en compte l’environnement. Pour faire un parallèle avec une équipe de football, il arrive que de très bons joueurs ne soient pas performants dans des clubs différents. Je pense que les équipes RH sont essentielles pour de bons recrutements, internes comme externes.
Pour donner un exemple précis, nous avions un manager en Scandinavie qui, historiquement, dirigeait très bien son organisation et ses équipes. Après une acquisition, son entité a grossi et s’est complexifiée et il a eu du mal à s’adapter. Ses équipes étaient en souffrance et nous avons constaté un fort turnover. Nous avons dû malheureusement procéder à un changement de leadership. En parallèle, nous avons également lancé des programmes de suivi des collaborateurs qui n’existaient pas auparavant, comme des focus groups. L’objectif était de diagnostiquer quelles étaient les problématiques les plus urgentes et de hiérarchiser nos prises de décision.
En tant que RH, nous sommes aussi les garants de la culture, ce qui se joue beaucoup à travers les recrutements et les modes de promotion. Ceci dit, c’est un rôle difficile à définir, notamment car cet aspect culturel est peu palpable. La Direction RH peut avoir un côté éminence grise, un rôle de conseiller de l’ombre.
Outre le recrutement, quels sont les autres leviers ?
Il y a d’autres leviers comme le mentoring ou le coaching. C’est toujours important pour faire évoluer quelqu’un pour améliorer la posture et le comportement de certains talents pour qu’ils développent leur potentiel. C’est un complément utile à la formation en groupe, cette dernière étant plutôt « one size fits all ».
On développe d’autres solutions, qui sont encore à un stade embryonnaire. Nous avons mis en place une plateforme pour rendre les projets plus visibles et diversifier les profils qui se positionnent dessus. Auparavant, c’était souvent les mêmes noms qui étaient proposés sur ces mêmes projets, à savoir des personnes qui travaillaient dans les bureaux du siège ou des grosses unités. Aujourd’hui, des salariés dans des bureaux plus excentrés deviennent plus visibles. On repère des gens qui seraient passés complètement sous les radars autrement, ce qui permet de diversifier les viviers de talents internes.
Quelles sont les qualités à développer pour une Direction RH axée business ?
L’un des apports de la RH, c’est de développer un point de vue extérieur, de savoir analyser les compétences, les organisations, pour comprendre les compatibilités. Et de faire en sorte que tout cela résonne avec la stratégie business.
J’ai pour ma part eu la chance d’avoir un parcours qui m’a amené à tenir plusieurs fonctions au-delà de la RH: marketing, stratégie, R&D… Cela me permet d’avoir une vision très complète des activités de l’entreprise. Lorsque j’assiste à des réunions avec les managers de différentes business units, mais aussi des Codirs avec les équipes, cela me permet de voir leurs problématiques et de déterminer quelles sont les solutions que les RH peuvent apporter.
A mes yeux, l’idéal est d’avoir un parcours varié et un minimum de connaissances sur les différents organes de l’entreprise. Même si la fonction nécessite des connaissances pointues sur certains points, repérer des talents dans d’autres fonctions et les attirer pour quelques années sur des postes RH est un plus. De la même façon, des RH devraient partir en immersion dans d’autres métiers. Nous avons longtemps eu l’image de la Direction RH dans sa tour d’ivoire, mais la connexion au terrain et aux autres départements permet à la fonction RH d’autant plus valoriser son apport au business.
Est-ce que cet aspect business conduit à des challenges particuliers pour les RH ?
Comme dans de nombreuses organisations et de nombreuses entreprises, on assiste à une intensification des process, notamment via la numérisation. Il y a beaucoup de changements qui viennent toujours plus vite, mais le temps humain reste incompressible. On doit gérer l’équilibre entre ces accélérations, mais aussi expliquer que parfois, le corps social a besoin de temps pour assimiler des transformations. En somme, on n’évolue pas aussi vite que nos technologies en tant qu’espèce, ce qui aboutit à beaucoup de pression.
J’ai évoqué plus tôt le fait de bien connaître les différents enjeux des départements. Il est vrai qu’on demande aujourd’hui aux DRH de développer un nombre de compétences très élevé et très complet (marketing, finances…). Ce sont des challenges, mais ça rend aussi le métier intéressant.
Est-ce que vous avez un exemple de projet précis où les RH ont joué un rôle prépondérant dans l’amélioration de la performance de l’entreprise ?
C’est assez classique, mais la formation permet plus d’efficacité. Nous avions lancé de nouveaux outils informatiques en pensant que les salariés allaient rapidement s’approprier les choses. En réalité, ce n’était pas si simple. Lorsqu’on a lancé de la formation à haute dose, on a vu une nette amélioration de la performance opérationnelle.
Il y a peu, j’étais aussi en charge de l’excellence commerciale en Europe, et nous avons mis en place des formations pour l’ensemble des équipes commerciales. Nous avons fait des statistiques entre les pays pour confirmer l’efficacité de la démarche, et les équipes qui avaient bénéficié du programme étaient jusqu’à 15% plus productives. Nous avons compté le nombre de projets gagnés par an pour déterminer la hausse de la performance.
Pour conclure, j’ajouterai que le point clé c’est la relation entre la Direction RH et la Direction Générale de l’entreprise pour cette vision business. C’est-à-dire, va-t-on considérer le DRH comme un vrai partenaire business et non le cantonner à un rôle purement administratif.