Le point sur la réforme des retraites avec François-Xavier Selleret, Directeur Général de l’Agirc-Arrco

Interview de François-Xavier Selleret sur la réforme des retraites - Cercle Humania

La réforme des retraites a été promulguée et publiée au Journal officiel, et est désormais en vigueur. Initiative complexe, s’il semble complexe de maintenir un système contributif en l’état étant donné les prévisions démographiques, que penser du texte proposé et adopté par le gouvernement ? Tout en rappelant que les partenaires sociaux en charge du régime peuvent avoir des sensibilités différentes, François-Xavier Selleret, Directeur Général de l’Agirc-Arrco, apporte un éclairage technique sur la réforme.

Que pensez-vous de la réforme des retraites telle qu'elle est présentée ?

Ce qui importe dans une réforme des retraites, ce sont les projections économiques et démographiques. Le Gouvernement part sur l’idée que le taux de chômage se situera aux alentours de 4,5%. Ce qui, de l’avis de nombreux commentateurs est une hypothèse volontariste.

De son côté l’Union Européenne prévoit pour la France un taux de chômage de 7%, ce qui est plus proche du chômage structurel historique de l’hexagone. Pour ce qui concerne l’Agirc-Arrco, tout en reprenant les données des pouvoirs publics, nous réalisons nos projections sur la base d’hypothèses intermédiaires. C’est l’ADN de la robustesse du pilotage des partenaires sociaux qui se projettent dans la durée sur la base de prévisions prudentes. Il est vraisemblable que la question des réformes se reposera régulièrement ; gageons que les régimes de retraite soient davantage pilotés sur le long terme afin de s’adapter aux circonstances et tenir la promesse de payer les retraites à toutes les générations sans peser sur les générations futures.

Pensez-vous que cela explique les nombreuses manifestations et réactions de la part des parties prenantes ?

La pédagogie est essentielle dans la conduite d’une telle réforme et aurait probablement gagné à être davantage explicitée, y compris par les médias. Prenons un exemple : l’approche générationnelle n’est pas souvent comprise. Une réforme des retraites s’applique selon la génération, c’est-à dire l’année de naissance des assurés. De même une réforme entre en vigueur progressivement. Ce sont autant d’éléments que nous devons collectivement expliquer pour éviter les incompréhensions et les sollicitations massives des caisses de retraite qui en découlent.

Il est aussi important de rappeler les objectifs fixés à la réforme afin de favoriser son acceptabilité. S’agit-il de rééquilibrer le système de répondre de manière équitable aux enjeux d’usures professionnelles en regard de la mesure d’âge ?

En l’état actuel des choses, 40% des futurs retraités auront droit à un départ anticipé, notamment grâce à la notion de pénibilité. Et que se passe-t-il en réalité, aujourd’hui, à l’approche de la retraite ? A deux ans du départ, 63% sont en emploi et 11,5% au chômage indemnisé depuis moins de deux ans.

Répartition desnouveaux retraités 2020 selon leur situation avant la retraite - Les cahiers études et statistiques de l’Agirc-Arrco
Source : Les cahiers études et statistiques de l’Agirc-Arrco, La situation des assurés Agirc-Arrco avant la retraite en 2020

Dans quelle mesure la réforme est-elle perfectible ?

L’important en matière de retraite c’est de donner de la visibilité et une ambition partagée. Combien de jeunes doutent d’avoir une retraite un jour ? Il est indispensable d’apporter des réponses solides au risque de fragiliser notre pacte social.

C’est ce que font les partenaires sociaux à l’Agirc-Arrco en ayant prohibé le recours à la dette et en disposant de réserves permettant de faire face aux aléas. N’oublions pas que l’Agirc-Arrco devra honorer les droits futurs à hauteur de 3200 Mds€. C’est toute la force d’un régime répartition dans lequel les actifs paient les retraites en cours.

En lien avec la retraite, on parle beaucoup de dépendance mais peu de natalité. S’il y a 1,7 actifs par retraité aujourd’hui, c’est aussi dû à la baisse de la fécondité depuis 2015 d’après l’INSEE. Précédemment, la France avait une politique nataliste très dynamique avec une volonté d’excellence dans le domaine. Or, c’est en 2015 qu’il a été décidé de moduler les allocations et aides familiales en fonction des ressources.

La retraite est un sujet de société transverse, quelles autres composantes peut-on considérer ?

Quid également de l’emploi des séniors ? C’est un sujet qui revient beaucoup. Alors que le taux de fécondité en France était bon (il a été parmi les meilleurs en Europe pendant une longue période), la question se posait moins et nous n’avions pas besoin de maintenir les séniors en emploi. C’est d’autant plus prégnant que les difficultés de recrutement des jeunes actifs se font sentir. Aujourd’hui, il faut par extension se poser la question de la deuxième partie de la carrière et de savoir comment accompagner une transition par la formation, notamment pour les métiers les plus difficiles.

On pointe également que cette réforme est inégalitaire envers les femmes, qui ont de plus petites retraites. A l’Agirc-Arrco, nous trouvons que la DSN n’est pas exploitée à son plein potentiel. En exploitant les données, nous avons découvert que les femmes et les hommes n’avaient pas la même trajectoire professionnelle. Les hommes changent d’entreprise plus souvent, ce qui mène à une augmentation du package salarial plus régulière et plus importante. Les femmes, quant à elles, ont tendance à rester plus fidèles à leurs organisations. Comment faire en sorte que la loyauté soit valorisée ? De plus, on s’aperçoit également que les carrières des femmes ont tendance à ralentir à la naissance du troisième enfant. 

 

Camille Barbry
Camille Barbry
Gestionnaire de contenu
Camille Barbry crée du contenu depuis plus de 4 ans. Spécialisée en Ressources Humaines. Elle a coécrit un livre, “RH et transformations, Stratégies et tactiques pour s’adapter dans un monde incertain”, paru en mai 2022 aux éditions Dunod. Depuis 2022, elle travaille au Cercle Humania comme gestionnaire de contenu.