Près de trois cadres sur dix* expriment un désir de reconversion. Et parmi eux, ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser aux métiers verts. La volonté d’apporter une pierre à la transition écologique peut être très forte ; mais qu’en est-il de la réalité des offres ? Quelles sont les clefs d’une reconversion réussie ? Pour répondre à cette question, l’Apec publie en ce début juin une étude intitulée « Se reconvertir vers un métier de la transition écologique », qui retrace le parcours de huit cadres ayant sauté le pas. Son autrice, Caroline Legrand, cheffe de projet à la direction des études de l’Apec, pilote les enquêtes liées à la transition écologique. Elle nous livre un aperçu du marché et quelques conseils aux cadres qui s’interrogent, ainsi qu’aux DRH.
Pour quelle raison avez-vous choisi ce sujet d’étude ?
C’est la troisième fois que nous nous intéressons à des parcours de cadres vers des métiers de la transition écologique, après une première étude consacrée aux cadres occupant des postes RSE et un second volet pour lequel nous avions interrogé de jeunes diplômés Bac +5 qui choisissaient un premier emploi « vert ». La reconversion s’est imposée naturellement dans cette série. Et si nous sommes attachés aux chiffres, nous tenons aussi à les incarner par des témoignages qui montrent la diversité des parcours possibles.
Depuis quelques années, nous entendons un bruit de fond, insistant, autour des métiers à impact et de la quête de sens. Même si le salaire reste, pour les cadres du privé, le tout premier critère déterminant lors d’un changement de poste, nous ne pouvons pas ignorer ces aspirations à se rendre « utile ».
Disposez-vous de chiffres pour quantifier le verdissement des métiers ?
Nous avons observé les offres d’emploi qui arrivent à l’Apec et on peut noter en l’espace de cinq ans une progression très importante. Avec 12 400 offres en 2023 contre près de 8 000 en 2019, le bond est de +56% ! Attention cependant : si la dynamique est réelle, la part de ces offres « vertes » sur le marché reste de l’ordre de 2,2% à ce jour. Deux offres sur cent, ce n’est pas encore une révolution. Mais on voit par exemple qu’on a presque quatre fois plus d’offres publiées en 2023 sur des postes de responsables RSE.
Les métiers les plus recherchés sont ceux de la QHSE, car on touche à la prévention et à la gestion des risques environnementaux. Viennent ensuite les ingénieurs en efficacité énergétique, avec presque 1 300 offres en ce moment. Les réglementations ou leur détricotage ont bien sûr un impact sur les offres que nous publions, mais globalement la tendance au verdissement des métiers semble s’ancrer.
Qu’est-ce qui vous a surprise dans les résultats ?
Je vois plusieurs enseignements majeurs à tirer pour les cadres : d’abord, il faut considérer de près les conséquences d’une reconversion et notamment se questionner sur un compromis salarial. Nous n’avons aucun témoignage qui montre un gain de salaire immédiat après la transition. Au contraire, nos huit cadres ont fait des concessions et certains ont même accepté de baisser leur rémunération de manière significative.
J’insiste ensuite sur la nécessité de structurer son projet : il s’agit d’acquérir des compétences et des connaissance pour convaincre votre futur employeur. Cela peut se faire en solo, de manière autonome, comme en reprenant des études. Et cela peut se faire dans votre entreprise actuelle (en évoluant par exemple vers des postes plus verts), comme dans l’entre-deux de la reconversion. Vous pouvez également valoriser certains aspects de votre carrière, même si elle s’est déroulée loin de l’écologie, comme la gestion de projets. Il faut rappeler que les métiers verts ne sont pas, dans leur très grande majorité, des métiers de cadres. Mais nous avons absolument besoins des cadres pour structurer cette transition.
Un point d’attention à destination des DRH, peut-être ?
Oui, je crois qu’il est très important de rappeler que ces cadres sont très attentifs à la sincérité de l’engagement écologique de l’entreprise qu’ils rejoignent. S’ils constatent que la promesse n’est pas tenue, ils vont repartir dès que possible.
Le greenwashing, ça ne fonctionne pas du tout. Et cela vaut pour les cadres en reconversion de notre étude, mais aussi pour les jeunes diplômés que nous avions interrogés précédemment : ils étaient nombreux à avoir quitté leur premier poste une fois confrontés à l’écart entre le discours de l’entreprise et la réalité du business model.
Et en-dehors des métiers verts, nous avons aussi des cadres qui refusent catégoriquement de rejoindre une entreprise qui ne serait pas écoresponsable.
Enfin, si vous êtes DRH, j’ai bien sûr envie de vous dire de prêter une oreille attentive aux reconversions ! La perle rare se trouve peut-être hors de votre scope de départ… Discutez le plus possible avec les directions opérationnelles, pour vous coordonner. Les DRH peuvent être en lead pour susciter une prise de conscience au Comex, quand les opérationnels sont plus à même d’identifier les futures compétences vertes.
Rencontrez Emmanuel et sept autres cadres «verts»
« Emmanuel, 53 ans, a occupé pendant plus de 20 ans un poste au sein d’une industrie manufacturière, dont 10 en tant qu’ingénieur R&D. Soucieux de l’impact écologique des produits qu’il est amené à concevoir, il travaille de plus en plus à leur recyclabilité en interne. Il s’y consacre pendant 2 ans. Pourtant Emmanuel constate que le sujet prend difficilement. « Les projets étaient intéressants, mais on n’allait pas assez loin : question de frilosité, de logique comptable. Le service marketing ne voulait pas entendre parler de « recyclé ». » Jugeant ses marges de manœuvre insuffisantes et alors que se profilait une réorganisation dans son entreprise, il décide, en 2020, de quitter son emploi, pour un poste 100 % orienté recyclage, non sans avoir échangé avec sa compagne des compromis qu’il pourrait avoir à faire en changeant de poste. »
>> Pour découvrir d’autres parcours et prendre connaissance de l’étude complète
Florence Boulenger est journaliste et consultante éditoriale, spécialisée dans les transformations des entreprises, avec un intérêt marqué pour le numérique et le futur du travail.